jeudi 1 décembre 2011

Le Château du Lac


Ci-dessus le vieux château fortifié de Comper, démantelé en 1598 par Henri IV ; il servait de repaire à des malandrins qui rançonnaient les environs. Salomon roi de Bretagne y aurait tenu sa cour. Reconstruit, les révolutionnaires l’incendièrent et il fut restauré en 1874. Au fond de l’un des trois étangs qui le jouxtent Merlin fit surgir un palais merveilleux pour Viviane. Viviane apparaît à Merlin sous les traits d’une jeune fille de merveilleuse beauté, fille d’un noble seigneur nommé Dyonas, auquel appartient la moitié de la forêt, et qui habite le château de Kon-Per (Val du vase ou vase bleu ou  le confluent), situé à l’extrémité du bois, près d’un vaste étang.
Récit :
Un autre soir, comme ils passaient devant le lac de Diane, Merlin en conta l’histoire à sa bien-aimée.
« Diane chassa par toutes les forêts de Gaule et de Bretagne, mais elle n’en trouva aucune qui lui plût autant que celle de Brocéliande, aussi y fit-elle bâtir, au bord de ce lac, un manoir ou elle venait coucher la nuit après avoir forcé cerfs et daims tout le jour. Devenue la maîtresse de Faunus, le fils du roi qui gouvernait ce pays, elle le trahit pour un certain Félix. Faunus ayant été blessé par un sanglier, Diane parvint à le convaincre de descendre dans une fontaine qui passait pour guérir toutes les plaies, mais dont elle avait fait ôter l’eau secrètement :
-          Descendez au fond, couchez vous et je vous couvrirai d’herbes de grande vertu qui cicatriseront vos plaies.
Faunus descendit ; Diane bascula sur lui les pierres descellées de la margelle et, par un raffinement de cruauté, versa par l’interstice des pierres, du plomb fondu qui consuma le corps de son amant. Félix, à qui elle rapporta comment elle s’était délivrée de celui qu’elle craignait, horrifié de ce crime, lui trancha la tête et jeta son corps dans le lac qui, depuis ce temps porte son nom. »

De ce drame très ancien ne demeurait que des eaux tranquilles dans un site enchanteur. Viviane, rêvant, soupira :
-          J’aimerais y vivre !
Son vœu à peine exprimé, le lac avait disparu et à sa place s’étendait un parc entourant un manoir tellement magnifique qu’il n’en était point de pareil dans toute la Bretagne.
-          Damoiselle, dit Merlin, voici votre demeure. Jamais personne ne la verra qui ne soit de votre maison, car elle est invisible pour tout autre, et aux yeux de tous il n’y a là qu’un lac.
Ce château au fond des eaux transporta Viviane de ravissement et elle ne le quitta plus par la suite, s’appelant elle-même la Dame du Lac, nom qui lui resta.
Tout le temps que Merlin demeura à Brocéliande, Viviane obtint de son ami la révélation de merveilleux secrets. Un jour vint où les deux amants durent se séparer de nouveau car il restait à Merlin une mission à remplir auprès du roi Arthur.

vendredi 14 mai 2010

Le Val Sans Retour



Viviane n'est pas la seule fée de Brocéliande où erre Morgane (en breton Mor-Guen, blancheur de la mer) qui préfère, à la fontaine de Barenton, le val sans retour. Magicienne comme Viviane, habile en toutes sciences, Morgane est une jolie brune, accorte et spirituelle, mais coquette et vicieuse. Trahie par son amant Guyomart, elle l'enferma par ses sortilèges dans le Val Sans Retour où furent ensuite retenus Les Faux Amants jusqu'à ce que Lancelot du Lac les vint délivrer. Pénitencier des pécheurs en amour, c'est encore le val enchanté, résidence de fées; le val périlleux où les chevaliers intrépides se trouvaient en présence de géants et de monstres. C'est en ce lieux que la fée Morgane soeur du roi Arthur enferma un chevalier qui lui fut infidèle. Depuis lors, tout amant oublieux de sa foi jurée qui pénétrait dans ce vallon y était retenu à jamais.

dimanche 22 novembre 2009

Merlin


A l'aube de notre ère, en Bretagne, il fut un home à la légende si grande qu'il nous paraît encore familier. Et pour tant que savons nous vraiment de lui?
Enfant prodige aux pouvoirs surnaturels, devenu conseiller d'Uther Pendragon, c'est auprès de son fils, le roi Arthur, qu'il œuvra à l'unification des peuples bretons en vue de résister aux multiples invasions venues du Nord. Valeureux combattant, il s'illustra dans de féroces batailles, jusqu'à même en perdre la raison.
Sa folie le retira de la folie des hommes, et il vécut en ermite parmi les arbres et les êtres de la forêt. De là , au gré de ses métamorphoses, il fut corbeau survolant les plaines, loup noir du fin fond des forêts, saumon remontant la rivière et grand cerf solitaire en Brocéliande.
Revenu à la vie, magicien sage et éclairé, il se servit de son savoir et de ses pouvoirs pour accomplir le destin du peuple de Bretagne et lança les Chevalier de la Table Ronde à la quête du Saint Graal.
Il fut à la croisée des mondes et des âges, des hommes et de la nature. Le nom de Merlinus Aurelius Ambrosius est demeuré dans les récits des chroniqueurs et dans la mémoire collective de l'humanité, jusqu'à se transformer en celui reconnaissable et identifiable entre tous:
Merlin
Et sous d'autres noms dans d'autres sociétés: Myrddyn, Merlinus, Merzhin, Amobrosus Lailoken.

mercredi 9 septembre 2009

Le Val sans Retour


Pour atteindre ce val, qui s'étend dans la partie orientale de la forêt, il faut prendre un sentier qu'il suffit de suivre. Dans une gorge étroite et sauvage serpente un ruisseau dont les eaux rendirent à Merlin ses esprits égarés. Dans ce vallon, envahi de taillis et de broussailles, labyrinthe hérissé d'ajoncs, d'églantines et de ronces, dans ce vallon aux pentes abruptes surplombées, à certains endroits, de rochers qui ne semblent retenus que par les racines des chênes ou des pins. Dans ce lieu il est encore permis de se plonger dans le plus prestigieux passé de la Bretagne en admirant la nature dans sa beauté vierge, non loin du Miroir des Fées.
Tout en errant le promeneur peut répéter ces vers du vieux poète Robert Wace:
Là allai-je merveilles querre,
Merveilles quès mais n'est trouvai
Fol m'en revins, fol y alai,
Fol y alay, fol m'en revins,
Folie qui par fol me tins...

Traduction:
Là j'allai chercher des merveilles
Merveilles que je ne vis point.
J'y allai rêvant, rêveur j'en revins
Et ce rêve, rêveur me tient...

lundi 3 août 2009

Le Roi aux Oreilles de Cheval


Peut-être avez-vous entendu parler d'un certain roi Marc'h qui vécut il y a bien longtemps de cela, dans un pays merveilleux nommé Penmarc'h?
Marc'h, qui veut dire cheval en breton, était un excellent cavalier: il possédait un cheval extraordinaire qui avait le pouvoir de courir plus vite que le vent et de galoper au-dessus des flots! C'est pour cela qu'on l'avait appelé Morvarc'h, le cheval de mer! Le roi n'ayant ni femme ni enfant, adorait son cheval plus que tout au monde et passait son temps à chasser sur son étalon qui, paraît-il, descendait du fameux Morvac'h, cheval du non moins célèbre Gradlon, l'ancien souverain de la légendaire ville d'Is.
Un jour, parcourant la campagne avec sa cour, Marc'h apperçu à l'horizon une biche toute blanche qui semblait se diriger vers lui. Il piqua des deux et se lança à la poursuite de cette bête magnifique. Marc'h s'approchant de sa proie, dégaina son arc. Mais soudain, quel ne fut pas sa surprise en voyant l'animal faire un bon prodigieux au-dessus de la mer et se retrouver sur un piton rocheux au millieux des flots! Alors le roi descendit de cheval, banda son arc, visa la biche et tira. Mais la flèche, au lieu de toucher sa cible, l'évita miraculeusement, fit demi-tour et vint se planter dans le poitrail du cheval Morvarc'h! Furieux Marc'h se précipitat dans les flots, dégaina son couteau de chasse, prêt à égorger la jolie biche; mais quand il arriva au pied du récif, l'animal avait disparu: à sa place il vit une merveilleuse femme-poisson aux longs cheveux d'or. C'était Dahud la fille du roi Gradlon: la jolie princesse, devenue sirène, hantait à présent les fonds sous-marins de la fameuse ville d'Is...
Dahud ressucita Morvarc'h, le cheval du roi Marc'h, qui ne lui avait rien fait et laissa s'en aller le roi Marc'h. Marc'h médusé sortit de l'eau, mais en sortant il eut un fort mal de tête: portant les mains à son crâne, il sentit deux oreilles de cheval lui pousser de chaque coté des tempes et une longue crinière noire lui descendre jusqu'au bas du dos. De retour à son château Marc'h fit venir son barbier qui se moquat de lui, car il avait beau lui couper la crinière celle-ci repoussait de plus belle. Le barbier fut enfermé au cachot pour s'assurer de son silence. Désespéré, le roi se morfondait sous sa tignasse lorsqu'il se souvint que Yeunig, son frère de lait, lui avait raconté un jour qu'il possédait des ciseaux magiques qui ne laissaient jamais repousser les cheveux qu'il coupaient. Il le fit donc appeler. Yeunig coupa la crinière qui ne repoussa plus jamais en échange de son silence. Mais un jour n'y tenant plus, il courut sur la plage , creusa un trou dans le sable et, plongeant la tête dedans, cria de toutes ses forces: "Le roi Marc'h a la crinière et les oreilles de son cheval Morvarc'h! Le roi Marc'h a la crinière et les oreilles de son cheval Morvarc'h!" Au bout de quelques semaines, par le plus pur des hasards, trois roseaux poussèrent à cet endroit...
Quelque temps plus tard le roi décida de marier sa soeur, la jolie Bleunwen, avec Rivalen, un noble du pays de Cornouailles. Les korrigans invités à s'occuper des cheveaux en échange d'un repas furent amèrement déçus lorsqu'ils s'apperçurent que les musiciens avaient vidés les plats. Les Korrigans s'en allèrent sur la plage et coupèrent trois roseaux pour faire de nouvelles anches aux musiciens. Le lendemains lors de la fête lorsque les sonneurs soufflèrent en coeur, une phrase sortit des instrument au lieu des notes de musique: "Le roi Marc'h a la crinière et les oreilles de son cheval Morvarc'h! Le roi Marc'h a la crinière et les oreilles de son cheval Morvarc'h!" Le roi rouge de honte se leva mais un coup de vent lui ôta son chapeau, celui-ci rouge de honte s'enfuit devant l'assistance en éclats de rires. En arrivant sur le rivage, le malheureux glissa sur un rocher et tomba à l'eau. Surgit alors de l'eau une jolie sirène aux cheveux d'or assise sur un cheval noir aux oreilles d'homme. Celle-ci s'empara du roi Marc'h et s'enfuit en criant: "Le roi Marc'h a la crinière et les oreilles de son cheval Morvarc'h! Le roi Marc'h a la crinière et les oreilles de son cheval Morvarc'h!" Et depuis ce temps là personne ne l'a plus revu. Mais c'est en souvenir du roi Marc'h que le pays s'appelle Penmarc'h, ce qui veut dire tête de cheval. Certains l'auraient revu à Tintagel chez son cousin le roi Arthur, mais on raconte tellement de choses...

lundi 6 juillet 2009

La Blanche Biche



1. Celles qui vont au bois
C'est la mère et la fille;
La mère va chantant
Et la fille soupire.

2. Qu'avez vous à soupirer,
Ma fille Marguerite?
J'ai grande colère en moi
Mais n'ose vous le dire.

3. Je suis fille le jour
Mais la nuit blanche biche;
La chasse est après moi,
Les barons et les princes.

4. Et mon frère Renaud
Qui est de tous le pire;
Chassant même la nuit
Quand la lune s'y mire.

5. Allez, ma mère, allez
Bien promptement lui dire
Qu'il arrête ses chiens
Jusqu'à demain midi.

6. Ou sont tes chiens, Renaud
Et ta chasse gentille?
Ils sont dedans le bois
A courre blanche biche.

7. Arrête les, Renaud,
Arrête, je t'en prie!
Trois fois les a cornés
De son cornet de cuivre;

8. A la troisième fois
La blanche biche est prise.
Mandons le dépouilleur
Qu'il dépouille la biche!

9. Celui qui la dépouille
Dit « je ne sais que dire! »
Elle a les cheveux blonds
Et le teint d'une fille!

10. A tiré son couteau,
En quartiers il l'a mise.
En ont fait un dîner
Aux barons et aux princes.

11. Nous voici tous ici
Faut ma sœur Marguerite.
Vous n'avez qu'à manger,
Suis la première assise;

12. Ma tête est dans le plat
Et mon cœur aux chevilles.
Mon sang est répandu
Par toute la cuisine.

13. Et sur ces noirs charbons
Mes pauvres os s'y grillent.
Et sur ces noirs charbons
Mes pauvres os s'y grillent.

lundi 13 avril 2009

Trahison


Que qui non a vezat aver
gran be, plus leu pot sostener
afan que tal es rics e bos;
que.l maltrag l'es plus angoyssos,
quan li soven benanansa.

Atressi cum la candela
que si meteissa destrui
per far clartat ad autrui,
chant, on plus trac gren martire,
per plazer de l'autra gen.

Peire raimon de toloza

dimanche 18 janvier 2009

TRISTAN et YSEULT

    • Rivalen, roi de Loonois a épousé Bleunwenn (nom breton signifiant «Blanche-Fleur »), la sœur de Marc'h, roi de Cornouaille en Armorique. Rivalen s’en va en guerre où il trouve la mort. Bleunwenn, avant de mourir de chagrin donne naissance à un fils, Tristan.
    • L’enfant est recueilli et élevé par son oncle, le roi Marc'h, en Bretagne armoricaine. Ce dernier devait s’acquitter du paiement d’un tribut auprès du roi d’Irlande. Quelques années plus tard, Tristan décide d’en finir avec cette coutume et quand il arrive dans l’île, il doit combattre le géant Morholt, le beau-frère du roi. Tristan reçoit un coup d’épée empoisonnée, mais il blesse mortellement le géant qui, dans un dernier souffle, lui indique qu’Iseut, la fille du roi, a le pouvoir de neutraliser le poison. La jeune fille guérit Tristan de ses maux sans qu’elle sache qu’il a tué son oncle Morholt. Une fois rétabli, il reprend la mer et retourne près de son oncle.
    • Marc'h souhaite que son neveu lui succède à la tête de la Cornouaille, mais des seigneurs s’y opposent, préférant une succession directe. Le roi décrète qu'il épousera celle à qui appartient le cheveu d'or, déposé le matin même par un oiseau. Tristan se souvient d’Iseut et suggère une ambassade auprès du roi d’Irlande. À peine débarqué, surgit un terribledragon qu’il doit combattre et occire non sans avoir été blessé. Pour la seconde fois, il est soigné par la fille du roi. Iseut voit que l’épée du chevalier porte une marque qui correspond à un morceau de fer, retrouvé dans le crâne de Morholt ; elle comprend que c’est Tristan qui a tué son oncle, mais renonce à toute idée de vengeance. Il s’acquitte de sa mission et le père accepte que sa fille épouse le roi de Cornouaille, ce qui est une manière d'effacer les différends entre les deux royaumes. Iseut éprouve quelque ressentiment du peu d’intérêt que lui manifeste Tristan, mais s’embarque pour la Bretagne.
    • La reine d’Irlande remet un philtre magique à Brangien, la servante d’Iseut qui est du voyage. Il est destiné aux nouveaux mariés le soir de leur nuit de noces. La puissance du philtre est telle qu’après absorption, les amants sont éternellement épris et heureux, et qu’une séparation leur serait insupportable, voire fatale. Durant la navigation entre l’île et le continent, croyant se désaltérer avec de l’eau, Tristan boit du breuvage magique et en offre à Iseut. L’effet est instantané. En dépit de ce nouvel amour indéfectible, la jeune fille épouse le roiMarc'h, mais le soir des noces, c’est la servante Brangien qui prend place dans le lit du roi.
    • Les amants prennent la fuite et décident de vivre dans la forêt, fuyant toute âme qui vive. Au bout de trois ans, la magie du philtre finit par s’estomper. Après un long temps de recherche, le roi les surprend endormis dans la grotte qui les abrite, l’épée de Tristan plantée dans le sol entre eux deux. Le roi pense qu’il s'agit d’un signe de chasteté et respecte la pureté de leurs sentiments. Il remplace l’épée par la sienne, met son anneau au doigt d’Iseut et s'en va. Au réveil, ils comprennent que le roi les a épargnés. C’est la séparation, Iseut retourne près du roi Marc'h.
    • Tristan s'en va dans l’île de Bretagne où il finit par épouser Iseut aux mains blanches, dont la beauté lui rappelle celle d’Iseut la blonde. Son occupation principale est la guerre et lors d’une expédition, il est gravement blessé. Une fois de plus, seule Iseut la Blonde peut le sauver. Il la fait réclamer en convenant que le bateau revienne avec une voile blanche si elle accepte de le secourir. Iseut arrive alors dans un vaisseau à la voile blanche, mais l’épouse de Tristan, de colère et de jalousie, lui dit que la voile est noire. Se croyant abandonné par celle qu’il aime, il se laisse mourir (ou se tue d’un coup d’épée). Iseut la blonde, arrivée près du corps de Tristan, meurt à son tour de chagrin. Le roi Marc'h prend la mer et ramène les corps des amants et les fait inhumer en Cornouaille, l’un près de l’autre (près de carhaix NDLR selon la légende).

    Chrétien de Troyes (Manuscrit perdu)

lundi 17 novembre 2008

Quand on n'a que l'amour

Quand on n'a que l'amour
A s'offrir en partage
Au jour du grand voyage
Qu'est notre grand amour
Quand on n'a que l'amour
Mon amour toi et moi
Pour qu'éclatent de joie
Chaque heure et chaque jour

Quand on n'a que l'amour
Pour vivre nos promesses
Sans nulle autre richesse
Que d'y croire toujours
Quand on n'a que l'amour
Pour meubler de merveilles
Et couvrir de soleil
La laideur des faubourgs

Quand on n'a que l'amour
Pour unique raison
Pour unique chanson
Et unique secours

Quand on n'a que l'amour
Pour habiller matin
Pauvres et malandrins
De manteaux de velours
Quand on n'a que l'amour
A offrir en prière
Pour les maux de la terre
En simple troubadour

Quand on n'a que l'amour
A offrir à ceux-là
Dont l'unique combat
Est de chercher le jour
Quand on n'a que l'amour
Pour tracer un chemin
Et forcer le destin
A chaque carrefour
Quand on n'a que l'amour
Pour parler aux canons
Et rien qu'une chanson
Pour convaincre un tambour

Alors sans avoir rien
Que la force d'aimer
Nous aurons dans nos mains,
Le monde entier


Jacques Brel
Désolé pour cette incartade moderne mais c'est tellement beau!

samedi 7 juin 2008

Cligès (les amants surpris)


...
Le chevalier se nommait Bertrand.
L'épervier avait pris son essor,
Après avoir manqué une alouette.
Ce serait jouer de malchance
Pour Bertrand, s'il perdait son épervier.
Au pied de la tour, dans le verger,
Il l'a vu descendre et se poser.
Il était content de le voir,
Pensant ne plus pouvoir le perdre.
Il s'agrippe aussitôt au mur
Et réussit à passer de l'autre côté.
Sous l'ente, il voit dormir ensemble
Fénice et Cligès, nue à nu.
"Mon Dieu, fait-il, que m'est-il arrivé?
Quelle est la merveille que je vois?
N'est-ce pas Cligès? Oui pour sûr.
N'est-ce pas l'impératrice avec lui?
Que non! Mais elle lui ressemble
Comme jamais deux être ne se ressemblèrent.
Elle a le front la bouche et le nez
Qu'avait ma dame l'impératrice.
Jamais Nature ne sut faire
Deux êtres plus ressemblants.
Je ne vois rien de celle-ci
Que je n'ai vu chez ma dame.
Si elle vivait encore, je dirais
A n'en pas douter que c'est elle."
A cet instant, une poire se détache,
Tombe près de l'oreille de Fénice.
Elle sursaute et se réveille,
Elle crie en voyant Bertrand:
"Ami, ami, nous sommes morts!"
...

Chrétien de Troyes : Cligès

jeudi 22 mai 2008

EREC ET ENIDE


...
La jeune fille avait beaucoup de grâce,
Parce que Nature y avait mis
Tous ses soins en la créant.
Celle-ci s'était elle_même
Emerveillée plus de mille fois
De ce qu'une fois seulement,
Elle sut créer si belle chose:
Par la suite, malgré tous ses efforts,
Elle fut incapable de reproduire
En quelque façon son modèle.
De celle-ci, Nature porte témoignage
Que jamais si belle créature
N'a été vue dans le monde entier.
Je vous assure que les cheveux d'Iseult la Blonde,
Aussi dorés et luisants qu'ils fussent,
N'étaient rien en comparaison de ceux-ci
Son front et son visage étaient
Plus lumineux et plus blancs que n'est la fleur de lis.
Et cette blancheur était merveilleusement réhaussée
D'une fraiche couleur vermeille
Que Nature lui avait donnée
Et qui illuminait sa figure.
Les yeux répandaient une telle lumière
Qu'ils semblaient être deux étoiles.
Jamais Dieu ne sut mieux faire
Le nez, la bouche ou les yeux.
Que dirais-je de sa beauté?
Elle avait assurément
Eté créée pour être contemplée,
De sorte qu'on aurait pu se regarder en elle,
Comme dans un miroir.
...

Chrétien de Troyes

lundi 28 avril 2008

Lucrèce Borgia


Lucrèce Borgia se marie; il est juste
Que tous les cardinaux brillent à ce gala,
Ceux du moins épargnés par la cantarella,
Ce poison plus cruel que tous ceux de Locuste.

Près d'eux trône César, jeune, féroce, auguste.
L'évêque de Paphos, vêtu de pourpre, est là;
Et le pape, à côté de Giulia Bella,
Montre, comme un vieux dieu, sa poitrine robuste.

Les parfums de la chair et des cheveux flottants
S'éparpillent dans l'air brûlant, et comme au temps
De Caprée, où Tibère épouvantait les nues,

Entrelaçant leurs corps impudiques et beaux,
Sur les rouges tapis cinquante femmes nues
Dansent effrontément, aux clartés des flambeaux.

Théodore de Banville

vendredi 4 avril 2008

Cléopâtre


Dans la nuit brûlante où la plainte continue

Du fleuve pleure, avec son grand peuple éternel

De Dieux, le palais, rêve effroyable et réel,

OùSe dresse, et les sphinx noirs songent dans l'avenue.


La blanche lune, au haut de son vol parvenue,

Baignant les escaliers élancés en plein ciel,

Baise un lit rose où, dans l'éclat surnaturel

De sa divinité, dort Cléopâtre nue.


Et tandis qu'elle dort, délices et bourreau

Du monde, un dieu de jaspe à tête de taureau

Se penche, et voit son sein où la clarté se pose.


Sur ce sein, tous les feux dans son sang recélés

Etincellent, montrant leur braise ardente et rose,

Et l'idole de jaspe en a les yeux brûlés.

Théodore de banville

vendredi 1 février 2008

Philomena


Chrétien s'inspire dans ses grandes lignes du récit d'Ovide.
Pandion, le roi d'Athènes, a deux filles, Philomena et Procné
qui épouse Térée roi de Thrace, dont elle à un fils Itis.
Mais Térée tombé amoureux de Philomena, la prie d'amour,
et devant ses résistances, la viole et lui coupe la langue
pour que son crime reste à jamais ignoré. Philomena parvient
cependant à broder l'histoire de son malheur sur une tenture
et réussit ainsi à faire parvenir le message à sa sœur.
Celle-ci se venge alors de son mari en lui faisant manger
au cours d'un banquet le corps décapité de son fils.
Tandis que Térée cherche désespérément Itis,
Philomena apparaît soudain et lui jette au visage
la tête sanglante de son fils. Térée sera finalement
métamorphosé en huppe, Procné en hirondelle et
Philomena en rossignol. Ce conte cruel, sans doute antérieur
à Erec et Enide, est encore proche de l'exercice scolaire:
Chrétien de Troyes y développe minutieusement les parties
dialoguées selon les procédés du débat et de la disputation.

Extrait:

-Amour a-t-il donc le pouvoir de rendre au vaincu la victoire?
-Oui, c'est ce dont témoignent et ce qu'affirment
ceux qui gémissent à cause d'Amour,
et puisque ceux qui le servent et qui le craignent
je peux à bon droit prouver
qu'on ne peut trouver de loyauté
en un amour si variable
qui éloigne ses amis de lui,
s'entoure de nouveaux serviteurs
et donne à tous le même salaire.
-Ma foi, Amour est donc équitable,
puisqu'il donne des salaires égaux.
-C'est, au contraire une iniquité manifeste,
car le salaire de chacun
doit s'élever selon son mérite
et la mesure de sa valeur.
Mais je sais bien d'où vient
qu'Amour s'entoure des pires
et écarte les plus valeureux.
Savez-vous pourquoi les meilleurs sont tenus en échec?
Parce qu'Amour ne sait distinguer
le meilleur du pire
-Il ne le sait pas? Il n'est donc guère sage.
-Si mais sa nature
le rend indifférent à toute sagesse,
du moment qu'il peut accomplir sa volonté.
Amour est plus changeant que le vent,
il est fourbe et mensonger
large de promesses,
avare et parcimonieux de ses dons,
il ne fait de mal qu'à ceux
qui son en sa sujétion.
Ceux qui s'évertuent à le servir,
Amour les bat et le tyrannise,
et ni tourment ni obstacle
ne peuvent les arracher à lui,
car jamais le véritable amant,
même sans rien y gagner,
ne saurait se décourager ou se lasser:
il n'en fera jamais assez.
Amour fait tout ce qu'il veut:
plus on en plaint, plus on en souffre,
et plus on s'enflamme et brule,
car on en tire ni joie ni réconfort.
L'amour est un mal dont le remède
ne fait que mieux enraciner la maladie.
Nul qui en sache guérir,
car on croit poursuivre sa délivrance
en accomplissant sa volonté:
c'est alors qu'il resserre ses liens.
Térée aurait donc été bien sage
de faire marche arrière
et de s'en aller sans la jeune fille...

Chrétien de Troyes (traductions adaptations des œuvres ovidiennes
insérée dans les 15 livres des Métamorphoses, œuvre monumentale de 72000 octosyllabes)

mercredi 21 novembre 2007

Le Hazard du Coin du Feu

...

Oui, sans doute, c’en est un très-grand :

Tôt ou tard les hommes nous punissent de nous être manqué ;

Et, moins encore pour l’intérêt des mœurs

Que pour le sien même,

Une femme ne doit point se livrer avec une légèreté

Qui l’expose toujours plus au mépris de ce qu’elle aime,

Qu’elle n’en obtient de reconnoissance.

De tous les bonheurs que l’amour peut lui offrir,

Le premier, le plus essentiel, le plus idéal,

Est le bonheur d’être estimée de son amant.

Si le caprice ne le recherche point,

L’amour ne sauroit s’en passer ;

Ou, du moins, ne s’en passe jamais sans en être cruellement puni.


Claude-Prosper Jolyot de Crébillon

jeudi 25 octobre 2007

Printemps d'Amour


Puisque mai tout en fleur dans les prés nous réclame,
Viens! ne te lasse pas de mêler à ton âme
La campagne, les bois, les ombrages charmants,
Les larges clairs de lune au bord des flots dormants,
Le sentier qui finit ou le chemin commence,
Et l'air et le printemps et l'horizon immense,
L'horizon que ce monde attache humble et joyeux
Comme une lèvre au bas de la robe des cieux!
Viens! et que le regard des pudiques étoiles
Qui tombe sur la terre à travers tant de voiles,
Que l'arbre pénétré de parfums et de chants,
Que le souffle embrasé de midi dans les champs,
Et l'ombre et le soleil et l'onde t la verdure,
Et le rayonnement de toute la nature
Fassent épanouir, comme une double fleur,
La beauté sur ton front et l'amour dans ton cœur!

Victor Hugo

mardi 16 octobre 2007

Amors Tençon et Bataille


Amour a déclenché querelle et bataille
Contre son champion
Lequel se tourmenta tant à cause de lui
Qu'il met tous ses efforts
A défendre les droits de son seigneur:
Il n'est pas juste qu'il ne puisse obtenir sa pitié;
Mais elle ne lui accorde pas assez de prix
Pour se soucier de son aide.

M'attaque qui veut au nom de l'Amour,
Je suis prêt à aller au combat
Sans espoir de récompense et avec loyauté,
Car j'ai l'habitude de souffrir.
Mais je crains qu'Amour lui même
Ne puisse obtenir de moi que je l'affronte:
En aucune façon je ne veux m'affranchir au point
Qu'Amour cesse d'exercer sur moi sa suzeraineté.

Personne, s'il n'est courtois et sage,
Ne peut rien connaitre de l'Amour;
Mais telle est sa loi
A laquelle personne ne peut échapper:
Amour veut vendre le droit d'entrée dans sons fief.
Quel en est le péage?
Il faut dépenser raison
Et laisser mesure en gage.

Un cœur fou, frivole et volage
Ne peut rien apprendre d'Amour.
Mais mon cœur n'est pas ainsi fait,
car il aime sans rien attendre en retour.
Avant de penser être pris au piège,
J'étais hostile et farouche envers Amour;
Maintenant sans pouvoir l'expliquer,
Il me plait que mon infortune tourne à son profit.

Amour m'a vendu trop chèrement
L'accès à ses terres et à son royaume,
Car à l'entrée, j'ai dépensé
Mesure et perdu raison.
Que jamais leur conseil ni leur aide
Ne me soient rendus:
Je fausse compagnie à mesure et raison:
Qu'elles ne comptent plus que je revienne.

Je ne connais pas d'issue pour sortir du domaine d'Amour;
Et que personne ne me l'indique!
Je peux bien toute ma vie dans cette cage
Changer de plumage,
Mon cœur, lui, ne changeras pas;
J'ai mis tout mon espoir en celui
Dont je redoute qu'il veuille me tuer;
Mais malgré cette crainte, mon cœur reste fidèle.

Si merci et pitié,
Que j'ai perdues à jamais, ne m'aident,
La guerre que j'ai longtemps soutenue
Tardera à finir.

Chrétien de Troyes (12ème siècle)

samedi 13 octobre 2007

Epître à mes amis


Aiez pictié, aiez pictié de moy,
A tout le moins, s'i vous plaist, mes amis !
En fosse giz, non pas soubz houz ne may,
En cest exil ouquel je suis transmis
Par Fortune, comme Dieu l'a permis.
Filles amans jeunes gens et nouveaulx,
Danceurs, saulteurs faisans les piez de veaux,
Vifz comme dars, aguz comme aguillon,
Goussiers tintans clers comme gascaveaux,
Le lesserez la, le povre Villon ?
Chantres chantans a plaisance, sans loy,
Galans, rians, plaisans en faiz et diz,
Courenx alans, franc de faulx or, d'aloy,
Gens d'esperit, ung petit estourdiz,
Trop demourez, car il meurt entandiz.
Faiseurs de laiz, de motés et de rondeaux,
Quant mort sera, vous lui ferez chaudeaux !
Ou gist, il n'entre escler ne tourbillon ;
De murs espoix on lui a fait bandeaux.
Le lesserez la, le povre Villon ?
Venez le voir en ce piteux arroy,
Nobles hommes, francs de quars et de dix,
Qui ne tenez d'empereur ne de roy,
Mais seulement de Dieu de Paradiz ;
Jeuner lui fault dimenches et merdiz,
Dont les dens a plus longues que ratteaux ;
Aprés pain sec, non pas aprés gasteaux,
En ses boyaulx verse eaue a gros bouillon,
Bas en terre − table n'a ne tresteaux −.
Le lesserez la, le povre Villon ?
Princes nommez, ancïens, jouvenciaulx,
Impertez moy graces et royaulx seaulx
Et me montez en quelque corbillon.
Ainsi le font, l'un a l'autre, pourceaux,
Car ou l'un brait, ilz fuyent a monceaux.
Le lesserez la, le povre Villon?

François Villon (15ème siècle)

mardi 2 octobre 2007

Messaline

Furieuse, et toujours en proie à son tourment,
Messaline, que nul festin ne désaltère,
Ayant sur son épaule une peau de panthère,
Célèbre la vendange avec son jeune amant.

Elle serre en ses bras de neige éperdument
Silius, et lui dit: « Je voudrais sans mystère
Me coucher à tes pieds devant toute la terre! »
Et le vin coule à flots dans le pressoir fumant.

Puis, tandis que le chœur danse au bruit de la lyre,
La Bacchante déchire et brise en son délire
De noirs raisins pourprés, et laissant à dessein

Leur sang vermeil couler sur ses belles chaussures,
Elle baise le cou du jeune homme et son sein,
Et sa bouche affamée y laisse des morsures.

Théodore de Banville

lundi 1 octobre 2007

Femme Eternelle


Oh! N'insultez jamais un femme qui tombe!
Qui sait sous quel fardeau la pauvre âme succombe!
Qui sait combien de jours sa faim a combattu!
Quand le vent du malheur ébranlait leur vertu,
Qui de nous n'a pas vu de ces femmes brisées
S'y cramponner longtemps de leurs mains épuisées!
Comme au bout d'une branche on voit étinceler
Une goutte de pluie ou le ciel vient briller,
Qu'on secoue avec l'arbre et qui tremble et qui lutte,
Perle avant de tomber et fange après sa chute!

La faute en est à nous; à toi riche! à ton or!
Cette fange d'ailleurs contient l'eau pure encore.
Pour que la goutte d'eau sorte de la poussière,
Et redevienne perle en sa splendeur première,
Il suffit, c'est ainsi que tout remonte au jour,
D'un rayon de soleil ou d'un rayon d'amour!

Victor Hugo

vendredi 28 septembre 2007

Printemps d'Avril


Ma mie, à son toit fidèle,
La frétillante hirondelle
Revient du lointain exil.
Déjà le long des rivages
S'égaie un sylphe subtil,
Qui baise les fleurs sauvages:
Voici le printemps d'Avril!

C'est le moment où les fées,
De volubilis coiffées,
Viennent, au matin changeant,
Sur le bord vert des fontaines,
Où court le flot diligent,
Charmer les biches hautaines
De leurs baguettes d'argent.

Elles dansent à l'aurore
Sur l'herbe, où les suit encore
Un troupeau de nains velus.
Ne va pas, enfant sereine,
Au fond des bois chevelus;
Elles te prendraient pour reine,
Et je ne te verrais plus!

Théodore de Banville

jeudi 27 septembre 2007

D'Amors qui m'a tolu a moi


Voici comment je me plains d'amour,
Qui m'a ravi à moi-même
Et ne veut pas me tenir pour sien:
Je consens à tout jamais qu'il me traite
Selon son bon plaisir.
Pourtant je ne peux m'empêcher
De me plaindre de lui et voici pourquoi:
Souvent, je vois ceux qui le trompent
Parvenir à leurs fins,
Alors que moi, à cause de ma fidélité,
Je n'y parviens pas.

Version originale :
D'Amors, qui m'a tolu a moi
N'a soi ne me veut retenir,
Me plains ensi, qu'adés otroi
Que de moi face son plesir.
Et si ne me puis tenir
Que ne m'en plaigne, et di por quoi:
Car ceus qui la traïssent voi
Souvent a leur joie venir
Et g'i fail par ma bone foi.

Chrétien de Troyes (12ème siècle)

mardi 25 septembre 2007

Le Pont Mirabeau


Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine.

Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure

Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse

Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure

L'amour s'en va comme cette eau courante
L'amour s'en va
Comme la vie est lente
Et comme l'espérance est violente

Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure

Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Guillaume Apollinaire

La Blanche Neige


Les anges les anges dans le ciel
L'un est vêtu en officier
L'un est vêtu en cuisinier
Et les autres chantent

Bel officier couleur du ciel
Le doux printemps longtemps après Noël
Te médaillera d'un beau soleil
D'un beau soleil

Le cuisinier plume les oies
Ah! tombe neige
Tombe et que n'ai-je
Ma bien-aimée entre mes bras

Guillaume Apollinaire

vendredi 21 septembre 2007

Bréviaire d'Amour


Maintenant j'ai bien appris d'Amour
Comment il sait frapper de son dard;
Mais comment ensuite il sait gentiment guérir,
Cela je ne le sais pas encore.
Je connais le médecin qui seul peut me donner la santé,
Mais à quoi cela me sert-il,
Si je n'ose lui montrer ma plaie mortelle?

Je mourrai par ma sottise
Car je ne vais pas lui montrer
Et dire la douleur qui me fait souffrir;
Personne ne peut me donner un remède
Contre cette douleur sauf la dame gaie et courtoise,
Que j'aime et que je chéris tant que je n'ose lui crier pitié,
Tellement j'ai peur que cela lui déplaise.

J'ai un grand désir de pouvoir venir à genoux vers elle,
D'aussi loin qu'on pourrait la voir,
De venir vers elle mains jointes,
Lui faire hommage, comme un serf doit le faire à son seigneur,
Et en pleurant implorer sa pitié sans crainte des mauvaises gens.

Bonne dame où nous voyons tous biens naitre
Comme graines et fleurs,
Puisque je vous aime et vous désire tant, je vous crie pitié;
Que pitié et ma bonne foi me viennent en aide auprès de vous,
Car je garderai bien mon secret et je vous serai plus fidèle
Que Dieu me protège! que Landric ne le fut à Aye.

Qu'aucun homme ne me dise de flatterie
Pour entendre mon coeur
Pour que après qu'il m'aurait trahi
Il criât ensuite ma sottise.
Mais je suis si dur à l'épreuve que vous pourriez me faire dire:
Plutôt que la bure de presset est de la laine.

Je veux prier Mon Diamant, que j'aime tant,
De réciter ma chanson à Toloza.

Peire Raimon de Toloza (12ème siècle)

jeudi 20 septembre 2007

Diagnostic du mal d'amour


Thessala était bien au fait
De l'amour et de ses pratiques.
Elle comprend à ces paroles
Que l'amour est ce qui la tue.
Puisqu'à l'entendre, la chose est douce,
Elle aime, l'affaire est certaine,
Car tous les autres mots sont amers
A l'exception du mal d'aimer.
Lui seul change son amertume
En douceur et en suavité,
Et puis produit l'effet contraire.
Celle qui en était instruite
Lui répond:"Ne craignez donc rien.
De votre mal, je vais vous dire
Tout à la fois le nom et la nature.
Vous m'avez dit, si j'ai compris,
Que la souffrance ressentie
Vous semble être joie et santé:
C'est la nature du mal d'amour
Qui nait de la joie et de la douceur.
Vous aimez donc, et je le prouve,
Car je ne trouve de douceur en aucun mal,
Sinon seulement en amour.
Les autres mots sans exception
Sont toujours cruels et horribles,
Mais l'amour est chose douce et tranquille."

Chrétien de Troyes (12ème siècle)

Romance fleurie


Avant que mes chansons aimées,
Si jeunes et si parfumées,
Du monde eussent subit l'affront,
Loin du peuple ingrat qui les foule,
Comme elles fleurissaient en foule,
Vertes et fraiches sur mon front!

De l'arbre à présent détachées,
Fleurs par l'aquilon desséchées,
Vains débris qu'on traine en rêvant,
Elles errent éparpillées,
De fange ou de poudre souillées,
Au gré du flot, au gré du vent.

Moi, comme des feuilles flétries,
Je les vois toutes défleuries,
Courir sur le sol dépouillé;
Et la foule qui m'environne,
En broyant du pied ma couronne,
Passe et rit de l'arbre effeuillé!

Victor Hugo

mardi 18 septembre 2007

Clotilde



L'anémone et l'ancolie
Ont poussé dans le jardin
Où dort la mélancolie
Entre l'amour et le dédain

Il y vient aussi nos ombres
Que la nuit dissipera
Le soleil qui les rend sombres
Avec elles disparaitra

Les déités des eaux vives
Laissent couler leurs cheveux
Passe il faut que tu poursuives
Cette belle ombre que tu veux

Guillaume Apollinaire

samedi 15 septembre 2007

Crépuscule


A Mademoiselle Marie Laurencin


Frôlée par les ombres des morts
Sur l'herbe où le jour s'exténue
L'arlequine s'est mise nue
Et dans l'étang mire son corps

Un charlatan crépusculaire
Vante les tours que l'on va faire
Le ciel sans teinte est constellé
D'astres pâles comme du lait

Sur les tréteaux l'arlequin blême
Salue d'abord les spectateurs
Des sorciers venus de Bohême
Quelques fées et les enchanteurs

Ayant décroché une étoile
Il la manie à bras tendu
Tandis que des pieds un pendu
Sonne en mesure les cymbales

L'aveugle berce un bel enfant
La biche passe avec ses faons
Le nain regarde d'un air triste
Grandir l'arlequin trismégiste

Guillaume Apollinaire

vendredi 14 septembre 2007

Les Yeux d'Elsa



Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire
J'ai vu tous les soleils y venir se mirer
S'y jeter à mourir tous les désespérés
Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire

À l'ombre des oiseaux c'est l'océan troublé
Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changent
L'été taille la nue au tablier des anges
Le ciel n'est jamais bleu comme il l'est sur les blés

Les vents chassent en vain les chagrins de l'azur
Tes yeux plus clairs que lui lorsqu'une larme y luit
Tes yeux rendent jaloux le ciel d'après la pluie
Le verre n'est jamais si bleu qu'à sa brisure

Mère des Sept douleurs ô lumière mouillée
Sept glaives ont percé le prisme des couleurs
Le jour est plus poignant qui point entre les pleurs
L'iris troué de noir plus bleu d'être endeuillé

Tes yeux dans le malheur ouvrent la double brèche
Par où se reproduit le miracle des Rois
Lorsque le coeur battant ils virent tous les trois
Le manteau de Marie accroché dans la crèche

Une bouche suffit au mois de Mai des mots
Pour toutes les chansons et pour tous les hélas
Trop peu d'un firmament pour des millions d'astres
Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux

L'enfant accaparé par les belles images
Écarquille les siens moins démesurément
Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens
On dirait que l'averse ouvre des fleurs sauvages

Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où
Des insectes défont leurs amours violentes
Je suis pris au filet des étoiles filantes
Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d'août

J'ai retiré ce radium de la pechblende
Et j'ai brûlé mes doigts à ce feu défendu
Ô paradis cent fois retrouvé reperdu
Tes yeux sont mon Pérou ma Golconde mes Indes

Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa
Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent
Moi je voyais briller au-dessus de la mer
Les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa

Louis Aragon

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