vendredi 28 septembre 2007

Printemps d'Avril


Ma mie, à son toit fidèle,
La frétillante hirondelle
Revient du lointain exil.
Déjà le long des rivages
S'égaie un sylphe subtil,
Qui baise les fleurs sauvages:
Voici le printemps d'Avril!

C'est le moment où les fées,
De volubilis coiffées,
Viennent, au matin changeant,
Sur le bord vert des fontaines,
Où court le flot diligent,
Charmer les biches hautaines
De leurs baguettes d'argent.

Elles dansent à l'aurore
Sur l'herbe, où les suit encore
Un troupeau de nains velus.
Ne va pas, enfant sereine,
Au fond des bois chevelus;
Elles te prendraient pour reine,
Et je ne te verrais plus!

Théodore de Banville

jeudi 27 septembre 2007

D'Amors qui m'a tolu a moi


Voici comment je me plains d'amour,
Qui m'a ravi à moi-même
Et ne veut pas me tenir pour sien:
Je consens à tout jamais qu'il me traite
Selon son bon plaisir.
Pourtant je ne peux m'empêcher
De me plaindre de lui et voici pourquoi:
Souvent, je vois ceux qui le trompent
Parvenir à leurs fins,
Alors que moi, à cause de ma fidélité,
Je n'y parviens pas.

Version originale :
D'Amors, qui m'a tolu a moi
N'a soi ne me veut retenir,
Me plains ensi, qu'adés otroi
Que de moi face son plesir.
Et si ne me puis tenir
Que ne m'en plaigne, et di por quoi:
Car ceus qui la traïssent voi
Souvent a leur joie venir
Et g'i fail par ma bone foi.

Chrétien de Troyes (12ème siècle)

mardi 25 septembre 2007

Le Pont Mirabeau


Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine.

Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure

Les mains dans les mains restons face à face
Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse

Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure

L'amour s'en va comme cette eau courante
L'amour s'en va
Comme la vie est lente
Et comme l'espérance est violente

Vienne la nuit sonne l'heure
Les jours s'en vont je demeure

Passent les jours et passent les semaines
Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Guillaume Apollinaire

La Blanche Neige


Les anges les anges dans le ciel
L'un est vêtu en officier
L'un est vêtu en cuisinier
Et les autres chantent

Bel officier couleur du ciel
Le doux printemps longtemps après Noël
Te médaillera d'un beau soleil
D'un beau soleil

Le cuisinier plume les oies
Ah! tombe neige
Tombe et que n'ai-je
Ma bien-aimée entre mes bras

Guillaume Apollinaire

vendredi 21 septembre 2007

Bréviaire d'Amour


Maintenant j'ai bien appris d'Amour
Comment il sait frapper de son dard;
Mais comment ensuite il sait gentiment guérir,
Cela je ne le sais pas encore.
Je connais le médecin qui seul peut me donner la santé,
Mais à quoi cela me sert-il,
Si je n'ose lui montrer ma plaie mortelle?

Je mourrai par ma sottise
Car je ne vais pas lui montrer
Et dire la douleur qui me fait souffrir;
Personne ne peut me donner un remède
Contre cette douleur sauf la dame gaie et courtoise,
Que j'aime et que je chéris tant que je n'ose lui crier pitié,
Tellement j'ai peur que cela lui déplaise.

J'ai un grand désir de pouvoir venir à genoux vers elle,
D'aussi loin qu'on pourrait la voir,
De venir vers elle mains jointes,
Lui faire hommage, comme un serf doit le faire à son seigneur,
Et en pleurant implorer sa pitié sans crainte des mauvaises gens.

Bonne dame où nous voyons tous biens naitre
Comme graines et fleurs,
Puisque je vous aime et vous désire tant, je vous crie pitié;
Que pitié et ma bonne foi me viennent en aide auprès de vous,
Car je garderai bien mon secret et je vous serai plus fidèle
Que Dieu me protège! que Landric ne le fut à Aye.

Qu'aucun homme ne me dise de flatterie
Pour entendre mon coeur
Pour que après qu'il m'aurait trahi
Il criât ensuite ma sottise.
Mais je suis si dur à l'épreuve que vous pourriez me faire dire:
Plutôt que la bure de presset est de la laine.

Je veux prier Mon Diamant, que j'aime tant,
De réciter ma chanson à Toloza.

Peire Raimon de Toloza (12ème siècle)

jeudi 20 septembre 2007

Diagnostic du mal d'amour


Thessala était bien au fait
De l'amour et de ses pratiques.
Elle comprend à ces paroles
Que l'amour est ce qui la tue.
Puisqu'à l'entendre, la chose est douce,
Elle aime, l'affaire est certaine,
Car tous les autres mots sont amers
A l'exception du mal d'aimer.
Lui seul change son amertume
En douceur et en suavité,
Et puis produit l'effet contraire.
Celle qui en était instruite
Lui répond:"Ne craignez donc rien.
De votre mal, je vais vous dire
Tout à la fois le nom et la nature.
Vous m'avez dit, si j'ai compris,
Que la souffrance ressentie
Vous semble être joie et santé:
C'est la nature du mal d'amour
Qui nait de la joie et de la douceur.
Vous aimez donc, et je le prouve,
Car je ne trouve de douceur en aucun mal,
Sinon seulement en amour.
Les autres mots sans exception
Sont toujours cruels et horribles,
Mais l'amour est chose douce et tranquille."

Chrétien de Troyes (12ème siècle)

Romance fleurie


Avant que mes chansons aimées,
Si jeunes et si parfumées,
Du monde eussent subit l'affront,
Loin du peuple ingrat qui les foule,
Comme elles fleurissaient en foule,
Vertes et fraiches sur mon front!

De l'arbre à présent détachées,
Fleurs par l'aquilon desséchées,
Vains débris qu'on traine en rêvant,
Elles errent éparpillées,
De fange ou de poudre souillées,
Au gré du flot, au gré du vent.

Moi, comme des feuilles flétries,
Je les vois toutes défleuries,
Courir sur le sol dépouillé;
Et la foule qui m'environne,
En broyant du pied ma couronne,
Passe et rit de l'arbre effeuillé!

Victor Hugo

mardi 18 septembre 2007

Clotilde



L'anémone et l'ancolie
Ont poussé dans le jardin
Où dort la mélancolie
Entre l'amour et le dédain

Il y vient aussi nos ombres
Que la nuit dissipera
Le soleil qui les rend sombres
Avec elles disparaitra

Les déités des eaux vives
Laissent couler leurs cheveux
Passe il faut que tu poursuives
Cette belle ombre que tu veux

Guillaume Apollinaire

samedi 15 septembre 2007

Crépuscule


A Mademoiselle Marie Laurencin


Frôlée par les ombres des morts
Sur l'herbe où le jour s'exténue
L'arlequine s'est mise nue
Et dans l'étang mire son corps

Un charlatan crépusculaire
Vante les tours que l'on va faire
Le ciel sans teinte est constellé
D'astres pâles comme du lait

Sur les tréteaux l'arlequin blême
Salue d'abord les spectateurs
Des sorciers venus de Bohême
Quelques fées et les enchanteurs

Ayant décroché une étoile
Il la manie à bras tendu
Tandis que des pieds un pendu
Sonne en mesure les cymbales

L'aveugle berce un bel enfant
La biche passe avec ses faons
Le nain regarde d'un air triste
Grandir l'arlequin trismégiste

Guillaume Apollinaire

vendredi 14 septembre 2007

Les Yeux d'Elsa



Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire
J'ai vu tous les soleils y venir se mirer
S'y jeter à mourir tous les désespérés
Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire

À l'ombre des oiseaux c'est l'océan troublé
Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changent
L'été taille la nue au tablier des anges
Le ciel n'est jamais bleu comme il l'est sur les blés

Les vents chassent en vain les chagrins de l'azur
Tes yeux plus clairs que lui lorsqu'une larme y luit
Tes yeux rendent jaloux le ciel d'après la pluie
Le verre n'est jamais si bleu qu'à sa brisure

Mère des Sept douleurs ô lumière mouillée
Sept glaives ont percé le prisme des couleurs
Le jour est plus poignant qui point entre les pleurs
L'iris troué de noir plus bleu d'être endeuillé

Tes yeux dans le malheur ouvrent la double brèche
Par où se reproduit le miracle des Rois
Lorsque le coeur battant ils virent tous les trois
Le manteau de Marie accroché dans la crèche

Une bouche suffit au mois de Mai des mots
Pour toutes les chansons et pour tous les hélas
Trop peu d'un firmament pour des millions d'astres
Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux

L'enfant accaparé par les belles images
Écarquille les siens moins démesurément
Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens
On dirait que l'averse ouvre des fleurs sauvages

Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où
Des insectes défont leurs amours violentes
Je suis pris au filet des étoiles filantes
Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d'août

J'ai retiré ce radium de la pechblende
Et j'ai brûlé mes doigts à ce feu défendu
Ô paradis cent fois retrouvé reperdu
Tes yeux sont mon Pérou ma Golconde mes Indes

Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa
Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent
Moi je voyais briller au-dessus de la mer
Les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa

Louis Aragon

Anacréon


Anacréon, Poètes aux ondes érotiques
Qui filtres du sommet des sagesses antiques
Et qu'on trouve à mi-côte alors qu'on y gravit,
Clair, à l'ombre, épandu sur l'herbe qui revit,
Tu me plait doux poète au flot calme et limpide!
Quand le sentier qui monte aux cimes est rapide,
Bien souvent, fatigués du soleil, nous aimons
Boire au petit ruisseau tamisé par les monts.

Victor Hugo

Marie


Vous y dansiez petite fille
Y danserez-vous mère-grand
C'est la maclotte qui sautille
Toutes les cloches sonneront
Quand donc reviendrez-vous Marie

Les masques sont silencieux
Et la musique est si lointaine
Qu'elle semble venir des cieux
Oui je veux vous aimer mais vous aimer à peine
Et mon mal est délicieux

Les brebis s'en vont dans la neige
Flocons de laine et ceux d'argent
Des soldats passent et que n'ai-je
Un cœur à moi ce cœur changeant
Changeant et puis encore que sais-je

Sais-je où s'en iront tes cheveux
Crépus comme mer qui moutonne
Sais-je où s'en iront tes cheveux
Et tes mains feuilles de l'automne
Que jonchent aussi nos aveux

Je passais au bord de la Seine
Un livre ancien sous le bras
Le fleuve est pareil à ma peine
Il s'écoule et ne tarit pas
Quand donc finira la semaine

Guillaume Apollinaire

A Une Femme


Enfant! si j'étais roi, je donnerais l'empire,
Et mon char, et mon sceptre, et mon peuple à genoux,
Et ma couronne d'or, et mes bains de porphyre,
Et mes flottes, à qui la mer ne peut suffire,
Pour un regard de vous!

Si j'étais Dieu, la terre et l'air avec les ondes,
Les anges, les démons courbés devant ma loi,
Et le profond chaos aux entrailles fécondes,
L'éternité, l'espace, et les cieux, et les mondes,
Pour un baiser de toi!

Victor Hugo

jeudi 13 septembre 2007

Reste Belle



Que ton feu me dévore !
Plaisir ou bien effroi,
Tout me ravit ; j'adore
Tout ce qui vient de toi,
Et la joie ou les larmes,
Tout a les mêmes charmes.

Ta voix qui se courrouce,
Quand j'en étais sevré,
Pourtant semble plus douce
A mon cœur enivré
Que les chansons lointaines
Qui tombent des fontaines.

Garde ta barbarie,
Tes méchants désaveux ;
Tu ne peux, ma chérie,
Empêcher tes cheveux,
Où le soleil se mire,
De vouloir me sourire !

Tes pensives prunelles
Ont emprunté des cieux
Leurs splendeurs éternelles ;
Ton front délicieux
Prend en vain l'air morose,
Ta bouche est toujours rose.

Malgré tes forfaitures,
Les roses de l'été
Ornent de lueurs pures
Ta sereine beauté
A ta haine rebelle.
Il suffit, reste belle !

Non, ta grâce de femme,
Rien ne peut la ternir ;
Elle est un sûr dictame,
Et tu vins pour tenir
La quenouille d'Omphale
Dans ta main triomphale.

Théodore de Banville

Les baisers


Plus de fois, dans tes bras charmants
Captif, j'ai béni mes prisons,
Que le ciel n'a de diamants;
Et pour tes noires trahisons

J'ai versé plus de pleurs amers
Que n'en tient le gouffre des mers.
Mes chants ailés, je te les dois!
Plus haineuse que les bourreaux,

Mon coeur a saigné sous tes doigts;
Mais que de fois, comme un héros
Qui vient de voler son trésor,
J'ai dormi sur tes cheveux d'or!

Tu m'as versé le vin du ciel!
Et mes maux seront pardonnés
A ton désoeuvrement cruel,

Si les baisers que m'a donnés
Ta lèvre pareille à des fleurs
Sont aussi nombreux que mes pleurs.

Peter J. Edwards (ed.), Oeuvres poétiques complètes de Théodore de Banville, textes électroniques interactifs,, Mount Allison University, Sackville, N.B., 1996.

Google