jeudi 25 octobre 2007

Printemps d'Amour


Puisque mai tout en fleur dans les prés nous réclame,
Viens! ne te lasse pas de mêler à ton âme
La campagne, les bois, les ombrages charmants,
Les larges clairs de lune au bord des flots dormants,
Le sentier qui finit ou le chemin commence,
Et l'air et le printemps et l'horizon immense,
L'horizon que ce monde attache humble et joyeux
Comme une lèvre au bas de la robe des cieux!
Viens! et que le regard des pudiques étoiles
Qui tombe sur la terre à travers tant de voiles,
Que l'arbre pénétré de parfums et de chants,
Que le souffle embrasé de midi dans les champs,
Et l'ombre et le soleil et l'onde t la verdure,
Et le rayonnement de toute la nature
Fassent épanouir, comme une double fleur,
La beauté sur ton front et l'amour dans ton cœur!

Victor Hugo

mardi 16 octobre 2007

Amors Tençon et Bataille


Amour a déclenché querelle et bataille
Contre son champion
Lequel se tourmenta tant à cause de lui
Qu'il met tous ses efforts
A défendre les droits de son seigneur:
Il n'est pas juste qu'il ne puisse obtenir sa pitié;
Mais elle ne lui accorde pas assez de prix
Pour se soucier de son aide.

M'attaque qui veut au nom de l'Amour,
Je suis prêt à aller au combat
Sans espoir de récompense et avec loyauté,
Car j'ai l'habitude de souffrir.
Mais je crains qu'Amour lui même
Ne puisse obtenir de moi que je l'affronte:
En aucune façon je ne veux m'affranchir au point
Qu'Amour cesse d'exercer sur moi sa suzeraineté.

Personne, s'il n'est courtois et sage,
Ne peut rien connaitre de l'Amour;
Mais telle est sa loi
A laquelle personne ne peut échapper:
Amour veut vendre le droit d'entrée dans sons fief.
Quel en est le péage?
Il faut dépenser raison
Et laisser mesure en gage.

Un cœur fou, frivole et volage
Ne peut rien apprendre d'Amour.
Mais mon cœur n'est pas ainsi fait,
car il aime sans rien attendre en retour.
Avant de penser être pris au piège,
J'étais hostile et farouche envers Amour;
Maintenant sans pouvoir l'expliquer,
Il me plait que mon infortune tourne à son profit.

Amour m'a vendu trop chèrement
L'accès à ses terres et à son royaume,
Car à l'entrée, j'ai dépensé
Mesure et perdu raison.
Que jamais leur conseil ni leur aide
Ne me soient rendus:
Je fausse compagnie à mesure et raison:
Qu'elles ne comptent plus que je revienne.

Je ne connais pas d'issue pour sortir du domaine d'Amour;
Et que personne ne me l'indique!
Je peux bien toute ma vie dans cette cage
Changer de plumage,
Mon cœur, lui, ne changeras pas;
J'ai mis tout mon espoir en celui
Dont je redoute qu'il veuille me tuer;
Mais malgré cette crainte, mon cœur reste fidèle.

Si merci et pitié,
Que j'ai perdues à jamais, ne m'aident,
La guerre que j'ai longtemps soutenue
Tardera à finir.

Chrétien de Troyes (12ème siècle)

samedi 13 octobre 2007

Epître à mes amis


Aiez pictié, aiez pictié de moy,
A tout le moins, s'i vous plaist, mes amis !
En fosse giz, non pas soubz houz ne may,
En cest exil ouquel je suis transmis
Par Fortune, comme Dieu l'a permis.
Filles amans jeunes gens et nouveaulx,
Danceurs, saulteurs faisans les piez de veaux,
Vifz comme dars, aguz comme aguillon,
Goussiers tintans clers comme gascaveaux,
Le lesserez la, le povre Villon ?
Chantres chantans a plaisance, sans loy,
Galans, rians, plaisans en faiz et diz,
Courenx alans, franc de faulx or, d'aloy,
Gens d'esperit, ung petit estourdiz,
Trop demourez, car il meurt entandiz.
Faiseurs de laiz, de motés et de rondeaux,
Quant mort sera, vous lui ferez chaudeaux !
Ou gist, il n'entre escler ne tourbillon ;
De murs espoix on lui a fait bandeaux.
Le lesserez la, le povre Villon ?
Venez le voir en ce piteux arroy,
Nobles hommes, francs de quars et de dix,
Qui ne tenez d'empereur ne de roy,
Mais seulement de Dieu de Paradiz ;
Jeuner lui fault dimenches et merdiz,
Dont les dens a plus longues que ratteaux ;
Aprés pain sec, non pas aprés gasteaux,
En ses boyaulx verse eaue a gros bouillon,
Bas en terre − table n'a ne tresteaux −.
Le lesserez la, le povre Villon ?
Princes nommez, ancïens, jouvenciaulx,
Impertez moy graces et royaulx seaulx
Et me montez en quelque corbillon.
Ainsi le font, l'un a l'autre, pourceaux,
Car ou l'un brait, ilz fuyent a monceaux.
Le lesserez la, le povre Villon?

François Villon (15ème siècle)

mardi 2 octobre 2007

Messaline

Furieuse, et toujours en proie à son tourment,
Messaline, que nul festin ne désaltère,
Ayant sur son épaule une peau de panthère,
Célèbre la vendange avec son jeune amant.

Elle serre en ses bras de neige éperdument
Silius, et lui dit: « Je voudrais sans mystère
Me coucher à tes pieds devant toute la terre! »
Et le vin coule à flots dans le pressoir fumant.

Puis, tandis que le chœur danse au bruit de la lyre,
La Bacchante déchire et brise en son délire
De noirs raisins pourprés, et laissant à dessein

Leur sang vermeil couler sur ses belles chaussures,
Elle baise le cou du jeune homme et son sein,
Et sa bouche affamée y laisse des morsures.

Théodore de Banville

lundi 1 octobre 2007

Femme Eternelle


Oh! N'insultez jamais un femme qui tombe!
Qui sait sous quel fardeau la pauvre âme succombe!
Qui sait combien de jours sa faim a combattu!
Quand le vent du malheur ébranlait leur vertu,
Qui de nous n'a pas vu de ces femmes brisées
S'y cramponner longtemps de leurs mains épuisées!
Comme au bout d'une branche on voit étinceler
Une goutte de pluie ou le ciel vient briller,
Qu'on secoue avec l'arbre et qui tremble et qui lutte,
Perle avant de tomber et fange après sa chute!

La faute en est à nous; à toi riche! à ton or!
Cette fange d'ailleurs contient l'eau pure encore.
Pour que la goutte d'eau sorte de la poussière,
Et redevienne perle en sa splendeur première,
Il suffit, c'est ainsi que tout remonte au jour,
D'un rayon de soleil ou d'un rayon d'amour!

Victor Hugo

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