lundi 17 novembre 2008

Quand on n'a que l'amour

Quand on n'a que l'amour
A s'offrir en partage
Au jour du grand voyage
Qu'est notre grand amour
Quand on n'a que l'amour
Mon amour toi et moi
Pour qu'éclatent de joie
Chaque heure et chaque jour

Quand on n'a que l'amour
Pour vivre nos promesses
Sans nulle autre richesse
Que d'y croire toujours
Quand on n'a que l'amour
Pour meubler de merveilles
Et couvrir de soleil
La laideur des faubourgs

Quand on n'a que l'amour
Pour unique raison
Pour unique chanson
Et unique secours

Quand on n'a que l'amour
Pour habiller matin
Pauvres et malandrins
De manteaux de velours
Quand on n'a que l'amour
A offrir en prière
Pour les maux de la terre
En simple troubadour

Quand on n'a que l'amour
A offrir à ceux-là
Dont l'unique combat
Est de chercher le jour
Quand on n'a que l'amour
Pour tracer un chemin
Et forcer le destin
A chaque carrefour
Quand on n'a que l'amour
Pour parler aux canons
Et rien qu'une chanson
Pour convaincre un tambour

Alors sans avoir rien
Que la force d'aimer
Nous aurons dans nos mains,
Le monde entier


Jacques Brel
Désolé pour cette incartade moderne mais c'est tellement beau!

samedi 7 juin 2008

Cligès (les amants surpris)


...
Le chevalier se nommait Bertrand.
L'épervier avait pris son essor,
Après avoir manqué une alouette.
Ce serait jouer de malchance
Pour Bertrand, s'il perdait son épervier.
Au pied de la tour, dans le verger,
Il l'a vu descendre et se poser.
Il était content de le voir,
Pensant ne plus pouvoir le perdre.
Il s'agrippe aussitôt au mur
Et réussit à passer de l'autre côté.
Sous l'ente, il voit dormir ensemble
Fénice et Cligès, nue à nu.
"Mon Dieu, fait-il, que m'est-il arrivé?
Quelle est la merveille que je vois?
N'est-ce pas Cligès? Oui pour sûr.
N'est-ce pas l'impératrice avec lui?
Que non! Mais elle lui ressemble
Comme jamais deux être ne se ressemblèrent.
Elle a le front la bouche et le nez
Qu'avait ma dame l'impératrice.
Jamais Nature ne sut faire
Deux êtres plus ressemblants.
Je ne vois rien de celle-ci
Que je n'ai vu chez ma dame.
Si elle vivait encore, je dirais
A n'en pas douter que c'est elle."
A cet instant, une poire se détache,
Tombe près de l'oreille de Fénice.
Elle sursaute et se réveille,
Elle crie en voyant Bertrand:
"Ami, ami, nous sommes morts!"
...

Chrétien de Troyes : Cligès

jeudi 22 mai 2008

EREC ET ENIDE


...
La jeune fille avait beaucoup de grâce,
Parce que Nature y avait mis
Tous ses soins en la créant.
Celle-ci s'était elle_même
Emerveillée plus de mille fois
De ce qu'une fois seulement,
Elle sut créer si belle chose:
Par la suite, malgré tous ses efforts,
Elle fut incapable de reproduire
En quelque façon son modèle.
De celle-ci, Nature porte témoignage
Que jamais si belle créature
N'a été vue dans le monde entier.
Je vous assure que les cheveux d'Iseult la Blonde,
Aussi dorés et luisants qu'ils fussent,
N'étaient rien en comparaison de ceux-ci
Son front et son visage étaient
Plus lumineux et plus blancs que n'est la fleur de lis.
Et cette blancheur était merveilleusement réhaussée
D'une fraiche couleur vermeille
Que Nature lui avait donnée
Et qui illuminait sa figure.
Les yeux répandaient une telle lumière
Qu'ils semblaient être deux étoiles.
Jamais Dieu ne sut mieux faire
Le nez, la bouche ou les yeux.
Que dirais-je de sa beauté?
Elle avait assurément
Eté créée pour être contemplée,
De sorte qu'on aurait pu se regarder en elle,
Comme dans un miroir.
...

Chrétien de Troyes

lundi 28 avril 2008

Lucrèce Borgia


Lucrèce Borgia se marie; il est juste
Que tous les cardinaux brillent à ce gala,
Ceux du moins épargnés par la cantarella,
Ce poison plus cruel que tous ceux de Locuste.

Près d'eux trône César, jeune, féroce, auguste.
L'évêque de Paphos, vêtu de pourpre, est là;
Et le pape, à côté de Giulia Bella,
Montre, comme un vieux dieu, sa poitrine robuste.

Les parfums de la chair et des cheveux flottants
S'éparpillent dans l'air brûlant, et comme au temps
De Caprée, où Tibère épouvantait les nues,

Entrelaçant leurs corps impudiques et beaux,
Sur les rouges tapis cinquante femmes nues
Dansent effrontément, aux clartés des flambeaux.

Théodore de Banville

vendredi 4 avril 2008

Cléopâtre


Dans la nuit brûlante où la plainte continue

Du fleuve pleure, avec son grand peuple éternel

De Dieux, le palais, rêve effroyable et réel,

OùSe dresse, et les sphinx noirs songent dans l'avenue.


La blanche lune, au haut de son vol parvenue,

Baignant les escaliers élancés en plein ciel,

Baise un lit rose où, dans l'éclat surnaturel

De sa divinité, dort Cléopâtre nue.


Et tandis qu'elle dort, délices et bourreau

Du monde, un dieu de jaspe à tête de taureau

Se penche, et voit son sein où la clarté se pose.


Sur ce sein, tous les feux dans son sang recélés

Etincellent, montrant leur braise ardente et rose,

Et l'idole de jaspe en a les yeux brûlés.

Théodore de banville

vendredi 1 février 2008

Philomena


Chrétien s'inspire dans ses grandes lignes du récit d'Ovide.
Pandion, le roi d'Athènes, a deux filles, Philomena et Procné
qui épouse Térée roi de Thrace, dont elle à un fils Itis.
Mais Térée tombé amoureux de Philomena, la prie d'amour,
et devant ses résistances, la viole et lui coupe la langue
pour que son crime reste à jamais ignoré. Philomena parvient
cependant à broder l'histoire de son malheur sur une tenture
et réussit ainsi à faire parvenir le message à sa sœur.
Celle-ci se venge alors de son mari en lui faisant manger
au cours d'un banquet le corps décapité de son fils.
Tandis que Térée cherche désespérément Itis,
Philomena apparaît soudain et lui jette au visage
la tête sanglante de son fils. Térée sera finalement
métamorphosé en huppe, Procné en hirondelle et
Philomena en rossignol. Ce conte cruel, sans doute antérieur
à Erec et Enide, est encore proche de l'exercice scolaire:
Chrétien de Troyes y développe minutieusement les parties
dialoguées selon les procédés du débat et de la disputation.

Extrait:

-Amour a-t-il donc le pouvoir de rendre au vaincu la victoire?
-Oui, c'est ce dont témoignent et ce qu'affirment
ceux qui gémissent à cause d'Amour,
et puisque ceux qui le servent et qui le craignent
je peux à bon droit prouver
qu'on ne peut trouver de loyauté
en un amour si variable
qui éloigne ses amis de lui,
s'entoure de nouveaux serviteurs
et donne à tous le même salaire.
-Ma foi, Amour est donc équitable,
puisqu'il donne des salaires égaux.
-C'est, au contraire une iniquité manifeste,
car le salaire de chacun
doit s'élever selon son mérite
et la mesure de sa valeur.
Mais je sais bien d'où vient
qu'Amour s'entoure des pires
et écarte les plus valeureux.
Savez-vous pourquoi les meilleurs sont tenus en échec?
Parce qu'Amour ne sait distinguer
le meilleur du pire
-Il ne le sait pas? Il n'est donc guère sage.
-Si mais sa nature
le rend indifférent à toute sagesse,
du moment qu'il peut accomplir sa volonté.
Amour est plus changeant que le vent,
il est fourbe et mensonger
large de promesses,
avare et parcimonieux de ses dons,
il ne fait de mal qu'à ceux
qui son en sa sujétion.
Ceux qui s'évertuent à le servir,
Amour les bat et le tyrannise,
et ni tourment ni obstacle
ne peuvent les arracher à lui,
car jamais le véritable amant,
même sans rien y gagner,
ne saurait se décourager ou se lasser:
il n'en fera jamais assez.
Amour fait tout ce qu'il veut:
plus on en plaint, plus on en souffre,
et plus on s'enflamme et brule,
car on en tire ni joie ni réconfort.
L'amour est un mal dont le remède
ne fait que mieux enraciner la maladie.
Nul qui en sache guérir,
car on croit poursuivre sa délivrance
en accomplissant sa volonté:
c'est alors qu'il resserre ses liens.
Térée aurait donc été bien sage
de faire marche arrière
et de s'en aller sans la jeune fille...

Chrétien de Troyes (traductions adaptations des œuvres ovidiennes
insérée dans les 15 livres des Métamorphoses, œuvre monumentale de 72000 octosyllabes)

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