vendredi 1 février 2008

Philomena


Chrétien s'inspire dans ses grandes lignes du récit d'Ovide.
Pandion, le roi d'Athènes, a deux filles, Philomena et Procné
qui épouse Térée roi de Thrace, dont elle à un fils Itis.
Mais Térée tombé amoureux de Philomena, la prie d'amour,
et devant ses résistances, la viole et lui coupe la langue
pour que son crime reste à jamais ignoré. Philomena parvient
cependant à broder l'histoire de son malheur sur une tenture
et réussit ainsi à faire parvenir le message à sa sœur.
Celle-ci se venge alors de son mari en lui faisant manger
au cours d'un banquet le corps décapité de son fils.
Tandis que Térée cherche désespérément Itis,
Philomena apparaît soudain et lui jette au visage
la tête sanglante de son fils. Térée sera finalement
métamorphosé en huppe, Procné en hirondelle et
Philomena en rossignol. Ce conte cruel, sans doute antérieur
à Erec et Enide, est encore proche de l'exercice scolaire:
Chrétien de Troyes y développe minutieusement les parties
dialoguées selon les procédés du débat et de la disputation.

Extrait:

-Amour a-t-il donc le pouvoir de rendre au vaincu la victoire?
-Oui, c'est ce dont témoignent et ce qu'affirment
ceux qui gémissent à cause d'Amour,
et puisque ceux qui le servent et qui le craignent
je peux à bon droit prouver
qu'on ne peut trouver de loyauté
en un amour si variable
qui éloigne ses amis de lui,
s'entoure de nouveaux serviteurs
et donne à tous le même salaire.
-Ma foi, Amour est donc équitable,
puisqu'il donne des salaires égaux.
-C'est, au contraire une iniquité manifeste,
car le salaire de chacun
doit s'élever selon son mérite
et la mesure de sa valeur.
Mais je sais bien d'où vient
qu'Amour s'entoure des pires
et écarte les plus valeureux.
Savez-vous pourquoi les meilleurs sont tenus en échec?
Parce qu'Amour ne sait distinguer
le meilleur du pire
-Il ne le sait pas? Il n'est donc guère sage.
-Si mais sa nature
le rend indifférent à toute sagesse,
du moment qu'il peut accomplir sa volonté.
Amour est plus changeant que le vent,
il est fourbe et mensonger
large de promesses,
avare et parcimonieux de ses dons,
il ne fait de mal qu'à ceux
qui son en sa sujétion.
Ceux qui s'évertuent à le servir,
Amour les bat et le tyrannise,
et ni tourment ni obstacle
ne peuvent les arracher à lui,
car jamais le véritable amant,
même sans rien y gagner,
ne saurait se décourager ou se lasser:
il n'en fera jamais assez.
Amour fait tout ce qu'il veut:
plus on en plaint, plus on en souffre,
et plus on s'enflamme et brule,
car on en tire ni joie ni réconfort.
L'amour est un mal dont le remède
ne fait que mieux enraciner la maladie.
Nul qui en sache guérir,
car on croit poursuivre sa délivrance
en accomplissant sa volonté:
c'est alors qu'il resserre ses liens.
Térée aurait donc été bien sage
de faire marche arrière
et de s'en aller sans la jeune fille...

Chrétien de Troyes (traductions adaptations des œuvres ovidiennes
insérée dans les 15 livres des Métamorphoses, œuvre monumentale de 72000 octosyllabes)

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